« L’Art en Couleurs », le bleu gothique
Thomas Lovy vous propose une série de chroniques sur l’Histoire de la Peinture.
« L’Art en Couleurs » est une invitation à voyager dans l’histoire de la Peinture par l’usage et le sens des couleurs…
Le Bleu gothique
Le goût pour le bleu apparaît tardivement en Europe. L’antiquité n’aimait pas le bleu, avoir les yeux bleus à Rome était considéré comme marque de vulgarité. Cette couleur est rare au Moyen Âge, jusqu’à Philippe Auguste. Il place le royaume sous la protection de la vierge, Reine du ciel, dont la robe est bleue…La France de blanche et or devient bleue et la couleur se répand dans toute l’Europe Gothique et Renaissante.
Cliquez sur les titres pour visualiser les peintures.
Juin, Riches heures du duc de Berry, Frères de Limbourg, enluminure, 1415.
Un livre d’heures est un ouvrage destiné aux prières aux différentes heures du jour et dates de l’année. Le livre de dévotion est prétexte à des trésors d’enluminures, prisés par les puissants. Les frères de Limbourg étaient des artistes de cours célèbres et riches.
Il y a douze images, une par mois. La partie supérieure arrondie marque les constellations. On reconnaît les gémeaux et le cancer et Apollon dans son char solaire. C’est un cycle cosmique, les saisons et les travaux des champs, les fêtes….
Le bleu du ciel et du cosmos crée un plan séparé, qui exprime l’éternité du cycle.
Ces images claires et colorées sont trompeuses : la réalité de l’époque, c’est aussi la guerre, la famine, les épidémies….
Déjà, les anciens égyptiens peignaient le quotidien sous forme d’idéal.
Les paysans sont rendus avec un grand réalisme et parfaitement intégrés dans une composition équilibrée. Deux femmes se font face, trois hommes plus loin. Les châteaux du duc sont peints avec précision, il s’en était fait construire 17 !
Le bleu éblouissant des frères de Limbourg plaisait. C’était une couleur chère, fabriquée avec de l’indigo, ou pastel, une plante ou avec un minéral rare, le lapis-lazuli.
Le songe de Joachim, Giotto, chapelle Scrovegni, 1306.
L’enluminure servit de laboratoire à la peinture moderne, l’invention de la perspective et du modelé. La plupart des peintres des premières générations de la Renaissance (Limbourg, Fouquet, Giotto…) avaient eu une formation d’enlumineurs.
La nouvelle façon de peindre, illusionniste, était révolutionnaire. Giotto est considéré par les auteurs du XV° siècle comme le premier artiste moderne. Vasari raconte que Dante, le poète ami de Giotto, inventa le terme artisti pour le différencier des artisans précédents…
Comme dans le livre d’heures, le bleu outremer vif crée un espace symbolique spirituel, un fond qui ouvre sur une dimension céleste. Les deux chapelles de Giotto, celle-ci et à Assise, sont entièrement bleues. Des tableaux alignés racontent l’histoire sainte.
Le père de Marie, Joachim, voit en songe un ange lui annoncer que sa femme Anne, pourtant stérile, va enfanter.
Le décor est théâtral, il est inspiré des faux décors en carton pâte des scénettes populaires. Regardez le réalisme des bergers..Leurs mouvements sont vivants, précis, humains. Les animaux sont également très détaillés. Tout est symbolique: les bergers annoncent l’adoration à venir, un agneau, symbole christique, lève la patte, un bouc noir (Satan?) derrière lui.
L’ange traverse littéralement le bleu pour venir dans notre monde.
Annonciation, Fra Angelico, San Domenico, 1430.
Fra Angelico, Frère Angélique, était moine, prieur du monastère dominicain de Florence. Son art est double, ce qui en fait l’originalité et la beauté. Il est pleinement moderne, il maitrise le nouvel art illusionniste à merveille et il garde l’esprit chrétien de l’iconographie médiévale. On le voit dans les couleurs : les tons mélangés créent l’illusion de profondeur et les couleurs pures s’additionnent, selon deux visions naturelle et spirituelle.
Le bleu est la couleur du manteau de la vierge, et du « ciel » au-dessus, le plafond de la loggia. Intense et pur, ce ciel intérieur s’oppose au ciel naturel de gauche, du jardin du péché ou errent Adam et Eve.
L’Angelico utilise aussi l’or et il est un des dernier peintres à le faire. Bleu céleste, or lumière, deux couleurs qui incrustées dans la compositions comme des diamants. Le plafond bleu des chapelles de Giotto était constellé d’étoiles d’or.
Les théologiens du Moyen Âge se sont questionnés sur la nature de l’arc en ciel et sur celle des couleurs. Pour certains, comme l’austère Bernard de Clervaux, les couleurs sont naturelles, tentatrices, diaboliques. Pour d’autres comme l’abbé Suger, inventeur du décor Gothique à Saint-Denis, elle sont une image de la Jérusalem Céleste.
Notre bleu outremer le montre.